Les Reactors n'aimaient pas qu'on les appelle les Cramps de Tours. C'est pourtant le meilleur moyen de décrire rapidement et assez fidèlement leur style musical. Les Reactors ne jouaient pas du rock, ils jouaient du rock'n'roll. Leur fixette Link Wray leur a fait enregistrer sur leur seul 33T (à ma connaissance) une face entière d'instrumentaux. On y reviendra.

Un peu d'histoire, d'abord.
Les Reactors ont été les principaux animateurs de la scène rock('n'roll, donc) tourangelle des années 80. Ils en étaient à la fois le groupe phare et parmi les protagonistes les plus actifs : mise en place de l'Auberge Espagnole (une salle de répétitions / concerts associative sur les rives du Cher), animation de la Radio Béton originelle, implication dans l'organisation de concerts et festivals (premiers festivals de l'Ile Aucard, festival du P'tit Paumé, notamment).
Ils étaient aussi les plus chaleureux supporters des p'tits jeunes qui débutaient, même quand les p'tits jeunes en question étaient encore mal sevrés et gentiment nazes, je peux en témoigner personnellement. Ainsi, ils nous ont ouvert leurs premières parties au Bateau Ivre, les festivals cités plus haut, les ondes de Radio Béton, et jusqu'aux portes de leur appartement pour y écouter leur collection de disques Bomp ! ou autres trucs qu'on n'aurait pas trop eu l'occasion de découvrir ailleurs en cette époque de Joe le Taxi et Stéph de Monac. Ou pour y aprendre à jouer les riffs de leurs instrumentaux. On y reviendra, j'ai dit.
L'âme des Reactors était Jack Pote, chanteur-guitariste et compositeur des chansons du groupe. Il a ensuite monté diverses moutures du groupe (on lui a même servi de section rythmique lors d'une brêve escale parisienne retour d'Inde au début des 90's. Même pas le temps de faire un concert, juste quelques répèts avec Olive ex-Lili Drop, d'autres du côté de la Moskowa, et une session de maquettes que je crois bien avoir perdues).
Le Line-Up historique, celui du disque, était constitué de :
- Cathy à la basse ;
- Dany Hell à la guitare lead. Lequel jouait aussi avec les Casses-Pieds parisiens, avant de se faire remarquer sous le charmant patronyme de Roger Cageot au sein de la Mano Negra ;
- côté batteurs, il y eut davantage de mouvements, pour cause de vie plus agitée ou de bronches plus fragiles (à moins que ça ne soit le foie)... Je ne suis même pas sûr que le Bruno du disque soit celui que j'ai vu officier le plus souvent derrière les fûts. Mais il me semble bien.

Bon, j'arrête de confondre La Galette avec Wikipedia, et on parle de la pépite.

On commence par la pochette.
En front cover, un joyau de carricature représente nos 4 furieux en train de poursuivre une radio qui égrène le très commercial Top 50. L'ambiance est posée : nous sommes du côté de ceux qui faisaient de la résistance à la soupe sus-citée. C'est aussi l'illustration de la chanson Baisse la Radio, qui donne son titre à l'album.


En back-cover, on découvre une première singularité ; une face Méditerranée et une face Manche ! Parce que la première fut enregistrée à Montpellier et la seconde à Saint-Malo. C'était plutôt dur de ramasser la galette pour financer les séances... Le disque est sorti en 1989 chez Boom Rang Records, label local, et distribué par Danceteria.


Et sur ce dos de pochette, nouvelles caricatures des 4, en plus gros plan :



Tous les dessins sont de leur copain Ludo Joffrain, qui leur avait aussi fait un logo. Tiens, le logo est là (à l'envers - désolé), sur l'insert, avec les paroles des chansons et d'autres jolis dessins :


Et puis, de l'autre côté de l'insert, quelques photos de nos protagonistes.


Les voilà en plus gros plan, et là on reconnaît bien Daniel, pour ceussent qui ont fréquenté la Mano Negra ou ses pochettes.


Sur l'autre photo, Jack Pote est celui à droite.


Et la musique !



Le disque s'ouvre sur Baisse la Radio, avec une première intro de bruits de radio, et un braillement dans le fond "Baisse la Radio, m...", puis l'intro proprement dite de la chanson.
Une chanson des Reactors, c'est d'abord un riff constitué d'une phrase sur une ou deux cordes (ici, ce sont des mi / sol / la sur le mi), répété en couplets (avec parfois des montées à la quinte ou en quinte plus septième), et pour le refrain, les accords qui font décoller le truc. Tout ça avec un gros son Link Wray meets the Flamin' Groovies, et donc plus straight que les Cramps.
Voilà, c'est parti, je cite :
"Il fait soleil dehors
Tu ouvres ta fenêtre
Et puis tu entends ça
Tu dis à ton voisin
(Refrain) Baisse la Radio / Baisse la... Radio
Toutes ces guerres stupides
Je ne veux rien y comprendre
Tous ces airs débiles
Je ne veux plus les entendre..."
En accompagnement sur les couplets, la guitare lead évoque le Kid Congo du Gun Club (des bruits un peu barrés, des notes un peu larsen-ées).
La construction est classique, efficace : solo 1, baisse de régime pour relancer le 3ème couplet, puis solo 2 et un duel de guitares, pour finir sur les refrains ad lib. Et on termine avec une triple fin en montées de roulements + instrus qui moulinent, trois fois donc, comme en Live quoi.

Le Rideau Est Tombé, pour celle-là, le phrase de riff n'a que deux notes (mi / sol), et monte en quinte (la / do) en troisième mesure. Toujours cette construction rock'n'roll efficace. Paroles hargneuses, c'est la dure loi de la vie. Sur le refrain, la voix chevrotte (sur scène, Jack Pote se frappait la poitrine, ça aide) et Cathy ajoute ses choeurs :
"ça va te frapper fort
briser ton p'tit coeur
le rideau est tombé."

Solo.
Daniel maîtrise tous les plans des solos pionniers : en réverb, que des notes dans la gamme, des glissandos aigus, des retours vlam-bam vers les graves, y compris les tricks façon médiator qui gratte la corde en remontant le long du manche, avec un léger départ de larsen... Une anthologie du bon goût.
Y a un pont aussi, comme un instrumental, et donc un riff de plus. C'est du bonheur.

Free Stomp est en anglais, accent impec. En tous cas, il n'y a pas assez de mots pour se rendre compte du contraire.
Le son des Reactors, c'est d'une part la rythmique précise. Notamment la basse : jamais de notes trop longues, un perpétuel soucis de servir de renfort à la grosse caisse. Des heures d'efforts (j'ai vu faire) pour arriver à cette simplicité et précision.
Et d'autre part, la double attaque des Gibson, jamais poisseuses. On cultive les têtes à lampes (Hi-Watt) sur un terreau de grosses enceintes maison, le tout monté avec des cordes à très gros tirant, ce qui donne un gros son un peu gras mais sans le côté embourbé / poussif des amplis Marshall. Quand il ne prend pas de solo, la rythmique de Jack Pote est plutôt une seconde lead un peu simple. Et quand il assure les rythmiques, Daniel reste un peu dans le fond de sa saturation un peu plus prononcée. Une belle osmose permanente.

Celui Qui Dit clôt la face Méditerranée, celle avec des paroles. Là, c'est le côté Flamin' Groovies qui est mis en avant : on est en accords dès les couplets, mais ça reste très rock'n'roll. Je résiste pas, je cite encore :
"Quand j'ai eu ma première guitare
J'ai tout de suite voulu être une star
J'ai jamais voulu faire la pute
Alors je me suis retrouvé manut' ...
Pardonnez-moi si je vous offense
Je suis celui qui dit ce qu'il pense
ça prouve au moins que je m'intéresse..."


Et puis aussi :
"Je veux toujours pas baisser mon froc
C'est pas comme ça qu'on fait du rock".

La classe !

Voilà, la face Méditerranée est déjà finie après 4 chansons. Dire qu'en concert, ils avaient une quinzaine de morceaux de bravoure de cet acabit...

En face Manche, les instrumentaux.


Qui commencent par Tractorman. Un riff, un instrumental. Chaque mesure est ponctuée de "Tractor ! Hou ! Ah !". C'est du rock'n'roll rural néanderthal, mais mécanisé quand même. En fait, la construction c'est : un riff "exposé de la phrase", puis sa variation plus enlevée (avec des accords et une ligne de lead dans les aigus), et puis un passage encore plus en vrille (départs de larsen, et montée rythmique façon le passage fou de Surfin' Bird).

Voilà Transistor (cette radio-là, tu la baisses pas !). Une première phrase d'intro, guitare seule juste soulignée par un coup de batterie sur les premiers temps de chaque mesure, et c'est parti : la phrase principale (un autre riff, donc, dans le même instrumental, c'est le grand luxe), puis les accords du riff (avec les deux guitares dans les aigus).
Break ! Boum boum boum, et on recommence la séquence de 3. Et c'est plié. Propre et net.

Reactor : là, le riff se fait plus lent, plus lourd (décemment quand même, on reste à 125 BPM, en dessous ça fait avachi), et il y a des accords mineurs en fin de cycle.
Du coup, la lead se lance dans des contre-mélodies aigües qui nous emmènent bien au delà des gammes basiques. Et puis il y a un pont avec accélération du rythme (comme le refrain de Should I Stay Or Should I Go, pour donner une idée).
Celui-là, je sais encore le jouer et je m'en prive pas. J'assure grave.

Enfin le dernier, Liberator est le riff le plus straight, c'est à dire le plus Link Wray. Il y a même un plan de guitare qui évoque le Chicken Run (imitation du caquettement de poulet par des allers/retours de médiator sur les cordes aigües), et des solos rock'n'roll très basiques.

Voilà. En tout, cette face Manche ne doit pas faire beaucoup plus que 10 minutes. Pas besoin d'en rajouter pour convaincre, alors pas de délayage.

Réjouissant.

Rock'n'Roll !

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